Chaude ambiance
- Isabelle Halleux
- 21 juin
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 juin

Au resto. Seule. Une table dans la rue mouvementée près de la cathédrale. A la table d'à côté, une jeune fille invitée par ses parents. Ils en sont au dessert. Ils ont l'air relax. La conversation tourne autour du "Colonel d'Anjou" : sorbet citron arrosé de cointreau. Va ! Elle trouve cela fort, trop fort... "Papa, tu veux goûter ?". Il termine la coupe.
La maman entre deux cuillerées, ose : " Il paraît que tu as rencontré quelqu'un ?!"
Les yeux de la fille s'illuminent. "Oui. Comment tu le sais ? J'allais vous en parler"
La maman, sans attendre : "Il paraît qu'il est juif..." Et le père d'ajouter des commentaires sur les croyants, ceux qui attirent les femmes dans leurs filets, les enferment, obligent les enfants à suivre leurs pratiques religieuses. Et en voici, et en voilà...
La fille fond en larmes. "Je suis heureuse. Et vous devriez vous réjouir ! A 32 ans je rencontre enfin un homme avec qui je suis bien, qui me respecte, qui me fait rire, qui me connait et me fait me connaitre."
"N'empêche !", répond la mère.
La fille parle de son bonheur. Les parents parlent de familles "autres", de petits-enfants radicalisés, de l'amoureux précédent qui, lui, était catholique - c'est quand même mieux, même si... Et les mais et les même si continuent à fuser.
"Même si on est contents pour toi."
Elle parle de l'attention de son amoureux pour elle, de son attention pour sa mère, de son attachement à la communauté.
"Tu vois", dit la mère...
L'ambiance est chaude. Il faut dire qu'il y a 35 degrés ce soir de solstice d'été, dans la rue Saint-Laud. La serveuse amène une 3e carafe d'eau.
Ils partent chacun à leur tour aux toilettes - il n'y a que moi qui saurai tout des conversations deux à deux...
"Elle était jeune, mais l'autre était bien, et d'une famille bien. Un gars de chez nous".
"Elle a grandit trop vite. Elle manque de maturité."
"Tu sais, moi je veux ton bonheur, mais regarde, même pour nous, du même milieu, à la longue c'est difficile. Un couple c'est toujours difficile sur la longueur."
"Mais papa, j'ai 32 ans. C'est super, non ?"
"Il habite dans le XIe ! T'y es née aussi, toi, non ?" "Ben, derrière la synagogue." "Justement !"
"T'as pensé aux enfants ?"
"Je n'ai vraiment plus envie de vous le présenter."
"Tu as grandi trop vite."
Les nez piquent dans les coupes à glace vides...
"Voilà ta mère. On y va!"
J'aurais voulu croiser le regard de la fille quand ils se sont levés. Lui souhaiter tout le bonheur du monde. Lui dire : "t'imagines, si tu leur avais dit qu'il est noir et musulman ?!"
Mais elle est partie par l'autre côté, sans se retourner.
Vive la France !
Ceci dit, pendant ce temps-là, je me suis fait plaisir...