Ma bibliothèque, ma cabane
- Isabelle Halleux
- 6 oct.
- 3 min de lecture

Samedi matin, j'ai descendu 17 grands sacs de livres que j'ai lus, relus pour certains, même plusieurs fois, et aussi des livres que je n'ai pas lus. 17 allers et retours du 1er ou du 2e étage au coffre de ma voiture. Un effort de presque 2000 marches - grosso modo 400m de denivelée en 30 min (exploit !) -, pour les mettre dans mon coffre et les emmener. Page à tourner. Vie à réinventer.
Il est difficile, chacun le sait, de "jeter" un livre; on préfère les donner. La bibliothèque du quartier a accepté de les "prendre". L'histoire aurait pu s'arrêter là .
La bibliothécaire m'a très gentiment reçue, surprise quand même de recevoir plus de 500 ouvrages de toutes sortes, de tous âges : livres de littérature, de contes, de jeux, d'images, de science, de nature, de voyage, romans classiques ou contemporains, collections complètes d'auteurs, livres imposés par l'école in illo tempore, en anglais ou en néerlandais, livres acquis suivant mes formations et mes centres d'intérêt ,de mon développement personnel ou professionnel, livres recommandés pour échanger entre amis, cadeaux de grandes et petites occasions.
Certains portaient une dédicace, ou notre nom, d'autres étaient annotés, parfois largement. Il y avait aussi des "tout usés", emportés en rando dans mon sac à dos, tachés par des mains maladroites, écornés, voire grignotés à force de traîner. Certains tout beaux tout neufs, à peine ouverts, comme sortant du magasin. J'ai gardé les BD, les livres pour enfants, et ceux inspirant mes loisirs actuels. A priori, j'étais satisfaite de ma démarche et de mon tri raisonné.
Quand j'ai quitté la bibliothécaire, et qu'elle m'a dit qu'elle allait les trier, seule, pour leur donner une destination finale, je l'ai imaginée découvrant en une seule après-midi, à la queue-leu-leu, tous ces titres, ces auteurs et ces activités auxquels j'ai consacré du temps, parfois beaucoup de temps, ceux que j'ai aimé, ou pas, ceux qui m'ont forgée, ou pas. Et cela m'a dérangée : j'ai eu l'impression de lui avoir ouvert sans m'en rendre compte mon espace de singularité, d'avoir dévoilé tout mon intime, comme si j'avais ouvert ma cabane à quelqu'un que je n'ai pas choisi de laisser entrer.
Je me suis dite que j'avais quand même opéré un tri de ce qu'il m'importait de conserver. De mon présent, de mon futur, elle ne saurait rien. Mais de mon passé ? Ce passé de plus de 40 années ainsi livré à une inconnue... Impression bizarre que "ma cabane" était victime de "viol" ou de "cambriolage", sans l'excuse du non-consenti.
Pourquoi parler de cabane ?
Je dois être influencée par la pièce de théâtre "Cabane-cabane" de Philippe Vauchel vue la veille - je vous la recommande chaleureusement en passant : subtile, tendre, profonde, et amusante. Le théâtre comme je l'aime ! Il y était question de cabane, donc, comme lieu du dedans, fragile, qui permet le retrait sur soi-même, qui libère et façonne. Du ventre de notre mère à notre dernière demeure.
Ma bibliothèque, ma cabane... Percevoir ma bibliothèque, ma collection de livres, comme lieu de l'intime a sans doute créé mon émotion face à la bibliothécaire.
Mais la cabane, n'est-ce pas d'abord un lieu de vie de l'extraordinaire ? L'extraordinaire de la respiration, de la déconnection, de l'imaginaire, de "désordre créatif" ? Un lieu d'ouverture, d'accueil et d'écoute, de partage, de lien et de relation ? Quel problème à partager cela ?
Ouf ! Vu comme ça, c'était finalement mieux de confier ma vie à la bibli qu'au recypark !
Mais j'en tire une leçon : que ferai-je de ma prochaine bibliothèque en redéploiement ? Une bibli de vieux ? Qui y entrera ? Qui s'en saisira, et comment ? Et si je les donnais au fur et à mesure ?
