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Mind your business (Mt 13, 24-30)

  • Photo du rédacteur: Isabelle Halleux
    Isabelle Halleux
  • 25 juil.
  • 6 min de lecture

Lectures du jour : (Ex 24, 3-8) - Ps. 49 - (Mt 13, 24-30)


Il n’y a pas de lecture particulière en ce 26 juillet, mémoire des saints Joachim et Anne, parents de Marie. Et pour cause : ils sont absents des évangiles canoniques ! Nous les honorons cependant comme discrets serviteurs de Dieu ;  ils incarnent la transmission de l’Alliance, la patience dans la foi, et la confiance dans le travail de Dieu. Tout ce dont nous parlent les deux lectures.


Dans la première lecture (Ex 24, 3-8), Moïse rassemble le peuple pour sceller une alliance avec Dieu. Ce moment fort est un engagement collectif, mais il ne gomme pas la fragilité humaine. Ce peuple, comme le nôtre, est mêlé : fidèle et parfois rebelle, fragile et complexe.


La parabole de l’ivraie (Mt 13, 24-30) nous dit quelque chose de proche : elle nous parle d’un champ où poussent ensemble le bon grain et l’ivraie, difficiles à distinguer tant qu’ils ne sont pas mûrs. Cette histoire nous ouvre sur trois mystères [1] : la coexistence du bien et du mal (mystère du mal), le jugement dernier (mystère du temps), et le mystère de la patience de Dieu qui nous demande de laisser croître et de vivre ensemble malgré les ambiguïtés.


Gardons cela en tête pour mieux entendre ce que la Parole nous dit aujourd’hui. Entrons en prière, en relation avec notre Dieu en chantant les psaumes.

Traduction : Occupez-vous de vos affaires !
Traduction : Occupez-vous de vos affaires !

Méditation


« La parabole parle de nous », dit Céline Rohmer [2]. « Elle décrit notre monde rempli d’obstacles et de pièges. Elle connaît ceux qui commettent l’inéquité. Elle sait nos espérances. Elle raconte l’universel pour viser le particulier et être entendue par chacun dans sa propre existence. Elle mesure la complexité de nos représentations "qui cachent" la présence du Royaume des cieux.  Elle ne gomme pas les difficultés d’une existence simple et responsable, présentée comme laborieuse, exigeante, en proie aux injustices politiques et morales, livrée au mal irrémédiablement présent et menaçant. La parabole prend acte d’un monde où le beau ne se voit pas, où les menaces s’accumulent, où l’échec total est redouté. La parabole fait le récit de notre réalité. »

 

Il en est ainsi de cette parabole qui parle de l’ivraie, cette plante enivrante (d’où son nom), graminée messicole [3] qui pousse avec le bon grain, qui lui ressemble, avec un même cycle biologique, une même apparence, une même taille de grain, mais qui, elle, est toxique. Elle est difficile à distinguer de la céréale avant qu’elle grandisse et soit arrivée à maturité. Son genre : Lolium. Son nom en grec : zizanie. L’ivraie, cette graminée qui sème la zizanie dans les champs de céréales. Comment ne peut-on pas penser à notre réalité ?!


La parabole nous dit qu’un ennemi l’a semée pendant que les gens dormaient. C'est une situation connue du monde romain antique et donc des disciples : une loi romaine réprimait et interdisait expressément de semer de l'ivraie dans le champ d'un ennemi [4]. Comment ne peut-on pas penser à notre réalité ?!  Quand la loi des hommes interdit. Quand nous n'y prenons garde.


« La parabole part en quête d’un corps et d’un esprit rendus disponibles à son écoute », écrit Rohmer. « Elle nous reconnaît l’intelligence de chercher, la capacité de nous mettre en marche. De lui sonner son achèvement. »

 

J’ai pas mal lu et réfléchi aux questions de radicalisation, d’intimidation, aux horreurs humaines internationales (et nationales) - il faut dire qu’on est servi en ce moment ! J’essaie de les mettre en contexte et de comprendre les différences culturelles, l’histoire, les blessures des peuples.


Je m’intéresse au silence [5] et au dire [6], résistances actives aux semeurs de zizanie, ceux qui créent et installent des tensions, provoquent les discordes, détériorent la relation, fragilisent les liens. Et souvent l’idée d’« empêcher », voire de « purifier », me vient. A tel point que je me pose parfois la question de savoir si le travail de sape, de doute, de méfiance de l’ennemi ne fait pas finalement œuvre efficace en moi…


« Touchés, les yeux et les oreilles s’ouvrent au monde. En le regardant autrement, on découvre que là où les échecs s’accumulent, une autre moisson est possible ; qu’un autre s’occupera pour nous des ivraies qui nous menacent. »

 

C’est justement cette perspective développée par Rohmer [7] qui m’interpelle et que je souhaite relever.

 

Les serviteurs disent au maître : « Veux-tu donc que nous allions l’enlever ? » Il répond : « Non, en enlevant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps. »

 

Il faut laisser croître ensemble les deux types de grain. La position du maître est catégorique : pas de tri par les serviteurs ! Leur rôle n’est pas celui de purificateurs ! Au temps de la moisson, le maître dira aux moissonneurs ce qu’il conviendra de faire.

 

Jésus, à la demande des disciples,  donne un peu plus loin dans l‘évangile (Mt 13, 36-43) un décryptage terme à terme de la parabole : « Explique-nous clairement la parabole de l’ivraie dans le champ », demandent-ils. « Celui qui sème le bon grain  c’est le Fils de l’homme », dit Jésus. « Le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les fils du Royaume ; l’ivraie, ce sont les fils du Mauvais. L’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ; la moisson, c’est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges.

 

Rien sur les serviteurs. Ceux qui servent le maître. Nous ? Nous qui pensons être du bon côté, du côté du bon grain ? Nous qui, par peur de rater le bon, risquons de le détruire, au nom du bien…

 

Ce que dit clairement Jésus, c’est que c’est le maître qui dira aux moissonneurs comment trier ce qui est bon et pas bon. Le moment venu.


Il dit qu’il nous faut être patients, laisser croître (la vie) [8], attendre que l’ivraie se reconnaisse clairement comme ivraie, et profiter de ce temps pour féconder, habiter la relation dans sa tension, être présents les uns aux autres dans ce champ mêlé. La parabole nous dit que vivre ensemble, c’est accepter de coexister dans ce monde-là et surtout de nous mêler de nos affaires de disciples, de serviteurs de Dieu.

 

Retenue. Patience. Temps pour un discernement juste. Confiance. Espérance.

 

Dieu seul est bon !

 

Recevons de lui, avec joie, le « don du bon » en reconnaissant que nous n’en sommes pas les auteurs. Entretenons avec Lui cette relation vivante et vraie.

 

[1] Un mystère, c’est une réalité profonde, qui dépasse notre compréhension complète qui ne se révèle pas entièrement à nous tout de suite. On peut en percevoir des aspects, en avoir une intuition, mais elle reste en partie cachée, invite à la foi, à la patience, et à la confiance. C’est un « secret » qui nous pousse à chercher, à croire sans tout savoir, et à accueillir ce qui dépasse notre raison immédiate.

[2] Céline Rohmer (2017), «  Quand parlent les images.  Les paraboles de l’évangile de Matthieu », Olivétan, p.69

[3] du latin messio « moisson », avec le suffixe –cole, qui habite, qui cultive

[4] Digeste de Justinien, livre IX, tit 2, loi 27 alinéa 14.

[5] Le silence comme espace de paix, de maturation, de retenue. Antidote au soupçon, au murmure, à l’emballement collectif. Le silence comme acte de résistance à participer à la zizanie, comme acte actif, presque militant, comme temps de mûrissement et de réconciliation. Le silence qui dit quelque chose sur notre manière d’être, de recevoir, de laisser exister.

[6] Donner la parole, écouter les récits de peur et d’espérance, lier les discours dangereux, repérer ce qui crée du lien au lieu de ce qui divise, accepter la complexité, tolérer l’ambigu, œuvrer individuellement et collectivement, préserver la liberté d’expression, créer des lieux prophétiques, réaffirmer la foi comme lieu de charité. …

[7] Regarder son interview sur le sujet : https://youtu.be/EIqzuCUAPlI?si=i_MHblgap8GI6Y3D (12/12/2021)

[8] Laisser croître, c’est choisir de ne pas trancher trop vite, de ne pas confondre le désordre avec le mal, et de ne pas éradiquer ce qui n’est peut-être qu’incompris ou inachevé. Ce pourrait être l’acte démocratique par excellence, celui qui protège la complexité, refuse la purification, et parie sur la maturité d’un peuple capable, ensemble, de discerner. Dans une démocratie saine, on tolère que l’ivraie pousse — c’est-à-dire que des idées contestables, des opinions déplaisantes ou controversées puissent s’exprimer, dans le cadre du débat public.

Mais lorsque ces idées ou mouvements deviennent des menaces actives contre la démocratie, la liberté, et les droits humains, la question se pose autrement.

Le « laisser croître l’ivraie » est un principe de tolérance et de patience démocratique, pas une invitation à la passivité face au mal. Quand l’ivraie devient un poison actif, il faut la lier — c’est-à-dire identifier, circonscrire, combattre ensemble ce qui détruit. Le discernement collectif doit toujours chercher l’équilibre entre liberté d’expression et protection de la démocratie.

 


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