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Il y a silence et silence...

  • Photo du rédacteur: Isabelle Halleux
    Isabelle Halleux
  • 12 juil.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 juil.


The scream , Edvard Munch, 1893
The scream , Edvard Munch, 1893

Il existe un silence qui porte, transporte, fait descendre au plus intime de soi-même et provoque d'inouies rencontres...


Il y a aussi l'autre silence, celui dont nous parle Rudy Demotte dans son post public de ce 12 juillet - que je reprends en intégralité ci-dessous pour ceux qui ne sont pas adeptes de Facebook : celui imposé par les gouvernances totalitaires - qui ne sont hélas pas limitées aux dictatures étatiques.


Le silence devient alors"une stratégie de survie. Ce n’est pas qu’on ne veut pas parler. C’est qu’on ne peut plus le faire sans conséquences. Le silence n’est plus absence. Il est calcul. Défense. Abdication lucide."


Comme Rudy, " je me méfie plus que jamais du silence organisé. Du silence exigé. Du silence stratégique. Celui qui n’est plus un luxe, mais une condition de sécurité."


Nous avons le choix : parler ou nous taire. C'est un peu le choix qui se posait aux apôtres et que les Actes nous renvoient en miroir, non ?...

Ce que le silence dit de nous

(Rudy Demotte, 12/7/2025, Post Facebook)


Il y a quelques jours, j’écrivais ici même que le silence pouvait être une forme de lucidité. Qu’il arrivait, face au tumulte, qu’il soit plus sage de se taire. Non pour fuir, mais pour laisser les choses se déposer, se réorganiser en nous. Pour accorder du temps à la pensée. J’évoquais ce silence actif, attentif, qui n’est ni retrait ni renoncement, mais un espace intérieur de décanter.


Mais ce n’est pas de ce silence-là que je veux parler aujourd’hui.


Il en est un autre, d’une toute autre nature, qui s’installe désormais dans des lieux où l’on croyait la parole protégée. Il ne s’agit plus ici d’une retenue volontaire, mais d’un silence instillé, imposé, induit par la peur. Il ne résulte pas du tumulte extérieur, mais de la menace diffuse qui plane lorsqu’on ose encore nommer ce que d’autres préféreraient laisser sans mots.


Dans The New York Times, le journaliste Michael S. Schmidt a livré le 9 juillet 2025 un récit aussi sobre qu’accablant. Il y rapporte que, souhaitant enquêter sur la surveillance décidée par les services secrets américains à l’encontre de l’ancien directeur du FBI James Comey - après que celui-ci eut posté une photo jugée équivoque par les cercles trumpiens - il a tenté de recueillir des analyses d’experts. Résultat : refus en chaîne. Des juristes d’envergure, d’anciens procureurs fédéraux, des spécialistes du droit public… tous se sont tus. L’un d’eux, plus courageux peut-être, lui a soufflé sous anonymat que son cabinet lui avait expressément interdit de s’exprimer. Trop risqué.


Voilà où nous en sommes. Dans la démocratie américaine, encore bardée de textes constitutionnels et de manuels de droit, ceux qui devraient éclairer les citoyens préférèrent baisser la voix, voire ne plus la prendre du tout. Le droit est intact. La parole, elle, se délite.


Et ce phénomène n’est ni isolé, ni conjoncturel. Il épouse une dynamique plus large, plus insidieuse, plus perverse : celle où la parole critique devient elle-même suspecte. Où parler, c’est se désigner. Où le silence n’est plus un luxe mais une assurance.


En Israël, la guerre menée à Gaza a instauré un climat comparable. Il ne s’agit pas ici de discuter du droit d’un État à se défendre, mais de constater que toute voix critique, y compris modérée, est aujourd’hui assimilée à une trahison nationale. La professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian, figure reconnue de la recherche en criminologie et en droits humains, a été suspendue de l’université hébraïque et placée en garde à vue pour avoir évoqué un possible « génocide ». Elle n’a pas manifesté violemment. Elle n’a pas porté d’arme. Elle a simplement nommé ce que d’autres préfèrent taire. Ce fut suffisant.


Depuis, d’autres chercheurs, enseignants, étudiants choisissent le silence. Non par prudence intellectuelle. Mais parce que parler expose. À la perte d’un poste. D’un visa. D’un financement. D’un avenir.


En Russie, ce processus est poussé jusqu’à l’absurde. Depuis mars 2022, employer le mot « guerre » pour décrire l’invasion de l’Ukraine peut valoir quinze ans de prison. L’État n’a pas interdit les idées : il a interdit les mots qui permettent de les formuler. La novlangue officielle a absorbé le lexique du réel, et les médias qui persistent à penser - Dojd, Novaya Gazeta, Écho de Moscou - ont été fermés ou relégués à l’exil numérique. Ce n’est plus la censure, c’est la désinfection sémantique.


Mais le silence imposé ne se limite pas aux régimes autoritaires séculiers. Il sévit aussi dans les régimes théocratiques, où Dieu sert de paravent au bâillon. En Iran, l’État islamique veille jalousement à ce que nulle parole ne vienne entacher la fiction sacrée du pouvoir. La critique des autorités religieuses – fût-elle prudente, fût-elle poétique – peut valoir la prison, voire la mort. Depuis la mort de Mahsa Amini, des centaines de journalistes, écrivains, artistes ou simples internautes ont été arrêtés pour des mots jugés « impies » ou « subversifs ». Et lorsqu’un silence obstiné s’installe dans les rues de Téhéran, ce n’est pas toujours par consentement : c’est parce qu’on a appris, souvent dans la douleur, que la parole coûte. Là aussi, l’autocensure prospère - non par adhésion, mais par nécessité vitale. La peur a appris à parler bas. Et l’on comprend alors qu’un silence religieux peut être aussi politique qu’un cri.


Et en Hongrie, Viktor Orbán raffine cet art du silence induit. Pas besoin d’enfermer les journalistes : il suffit de racheter leurs titres, d’encadrer les ONG par des lois sur les “agents de l’étranger”, et de repeindre la critique en sabotage national. Le pluralisme devient nuisance, l’indépendance est redéfinie comme influence hostile. L’opposition n’est pas interdite. Elle est rendue inaudible.


Mais il y a ici un autre paradoxe. Ce silence imposé ne surgit pas dans un désert. Il s’accompagne d’un vacarme permanent. Les réseaux sociaux, les trolls organisés, les indignations sélectives saturent l’espace public. Plus la parole experte se retire, plus le bavardage doctrinaire s’étale. La parole sensée s’efface devant le tumulte toxique. Ce n’est pas une société du silence : c’est une société de l’assourdissement. Et ce vacarme est aussi une arme. Il empêche de penser, il dissuade d’expliquer, il brouille ce qui mériterait nuance. Il contribue, à sa manière, à étouffer ce qui dérange.


Ce qui relie tous ces contextes, c’est la même transformation du rôle du silence. Il n’est plus une suspension féconde. Il devient une stratégie de survie. Ce n’est pas qu’on ne veut pas parler. C’est qu’on ne peut plus le faire sans conséquences. Le silence n’est plus absence. Il est calcul. Défense. Abdication lucide.


Et lorsque même les juristes n’osent plus expliquer ce qui est légal ou non, lorsqu’un professeur préfère renoncer à son cours, lorsqu’un journaliste rature son propre titre, c’est que quelque chose a déjà changé de nature dans le régime.


Je continue à croire au silence choisi. Celui du retrait, de la pensée, de la lenteur. Mais je me méfie plus que jamais du silence organisé. Du silence exigé. Du silence stratégique. Celui qui n’est plus un luxe, mais une condition de sécurité.


Et j’ajouterai ceci : parfois, le silence devient un cri. Il dit ce que l’on n’a plus le droit de dire. Il hurle ce qui aurait dû être entendu. Il s’impose comme un symptôme sonore de ce que la société ne veut plus écouter. Et c’est peut-être cela, au fond, qui nous alerte le plus. Ce cri silencieux. Ce hurlement sans mots. Ce moment où la parole meurt, mais où le silence parle encore.

Un autre bon post de Rudy Demotte (26 juin) : Le silence dans le tumulte : https://www.facebook.com/share/1AzvsXXdk7/?mibextid=wwXIfr

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