Former les consciences ou accompagner les coeurs ?
- Isabelle Halleux
- 27 juil.
- 3 min de lecture

Rome accueille en début de semaine prochaine (28-29/7/25) [1] le premier jubilé des "influenceurs catholiques" ou "missionnaires numériques" [2], "signe fort de reconnaissance institutionnelle pour ceux qui évangélisent à travers les réseaux sociaux."
"Ce qu'on attend, c'est une certaine forme de reconnaissance institutionnelle, de dire que ce monde-là existe, que l'Église en prend acte et qu'elle va l'accompagner et l'encourager", dit le frère dominicain Paul-Adrien d'Hardemare, qui compte plus d'un demi-million d'abonnés à sa chaine Youtube. Et il explique ses besoins de reconnaissance, de cadre, de régulation et d'encadrement de la parole.
Tout cela pour garantir sa mission qu'il définit comme "former les consciences". Il aurait dit "éveiller les consciences", passe encore, mais "former les consciences" ?! On se croirait revenu au 20e siècle avec le bon vieux canal descendant de l'influenceur vers l'influencé. Chaire de vérité devenue video youtube ? [3]
Evidemment, en bien pensant/en pensant bien, le dominicain sent qu'il y a des risques, même si il ne les exprime pas directement : risque d'influencer (pour un influenceur ?!), risque de dériver (dérive révélée par les commentaires des auditeurs), risque de solitude (vides de sens, de fraternité, de retour). Alors il exprime un besoin de cadre, de régulation, d'encadrement... et de support financier pour garantir la qualité, la longévité, l'extension de la prédication. Implicitement, c’est un appel à former ces missionnaires sous autorisation officielle [4], puisque la reconnaissance institutionnelle est espérée… même si l’article ne le dit pas ouvertement.
Ce missionnaire numérique - influenceur catholique ne se réclame donc pas d'abord témoin de sa foi mais formateur de conscience.
Perso, "je crois" d'abord dans l'efficacité du témoignage de la foi par la vie, en toute liberté et en préservation de la liberté de celui qui écoute. Et je préfère à la vidéo scénarisée disant ce qu'il faut penser, la petite phrase du jour du Facebook/Instagram de mon monastère préféré, tirée de la bible. Sans commentaire, elle ouvre un chemin. Elle n’enseigne pas : elle appelle. Elle éveille une liberté.
[1] Pauline de Torsiac, 25/7/2025, RCF.fr, https://www.rcf.fr/articles/actualite/les-influenceurs-catholiques-a-rome-pour-leur-1er-jubile
[2] Le missionnaire numérique ou digital est envoyé(e) pour rejoindre les périphéries numériques, pour y semer la Parole, dialoguer, annoncer l'Évangile, être présence de foi dans des lieux où elle est absente ou caricaturée. C’est la logique du Missio ad gentes version web.
L'influenceur catholique se comprend plutôt à partir d’une logique de visibilité et de notoriété. Il ou elle a une communauté d’abonnés, une ligne éditoriale, parfois une marque personnelle. Il/elle parle depuis une position, parfois institutionnelle, parfois très personnelle, et produit du contenu catho pour des cathos ou des sympathisants.
La confusion des deux par l'auteure de l'article est évidente !
Voici une petite grille de discernement pour aider à distinguer ces deux "rôles", sachant que le missionnaire digital peut être tenté de devenir influenceur : chercher les likes, le buzz, faire des contenus plus séduisants que prophétiques. L’influenceur peut, de son côté, se croire missionnaire, mais ne parler qu’à un entre-soi déjà convaincu.
AXE | MISSIONNAIRE NUMÉRIQUE | INFLUENCEUR CATHOLIQUE |
1. Intention intérieure | Être au service d’un Autre (Christ), donner gratuitement, se laisser déplacer. | Porter un message personnel, marquer les esprits, créer de l’adhésion à soi ou à une “marque”. |
2. Lien à l’autre | Relation de fraternité, écoute, dialogue, accueil de la complexité des autres. | Relation de pouvoir ou d’impact : enseigner, corriger, convaincre sans réelle réciprocité. |
3. Ancrage ecclésial | Enraciné dans une communauté d’envoi, un discernement partagé, une liturgie vécue. | Démarche personnelle, souvent en marge, en attente de reconnaissance institutionnelle pour légitimer son initiative. |
4. Rapport à la parole | Témoigner d’une Parole qui travaille (avec vulnérabilité, parfois silence). | Produire du contenu efficace, des formats viraux, une image forte, une parole “qui claque”. |
5. Usage du médium | Utilise les réseaux comme lieu de rencontre, de semence, avec modestie | Utilise les réseaux comme scène, amplificateur de soi, parfois miroir. |
[3] Ce qui me semble contradiction avec la tradition missionnaire, même ancienne, qui a toujours intégré une part de rencontre, de choc culturel, de décentrement. On attendrait d’un missionnaire digital qu’il soit à l’écoute des cultures numériques, discute, entende, réagisse avec nuance, prenne en compte la diversité des parcours, les fragilités spirituelles, les horizons blessés. C'est impossible : Le média pousse le missionnaire à la posture de celui qui sait, face à un auditoire dont les commentaires sont souvent stériles et on a parfois l’impression d’une prédication sans écoute, d’une catéchèse sans questions, d’une influence sans interpellation réciproque.
[4] Avec le risque de reconquête du récit par l'institution, de parole verrouillée, d'élitisation et d'exclusion des voix faibles


Ce que dit sr Albertine, influenceuse, de cette rencontre à Rome : https://www.facebook.com/share/v/14NyRphierZ/?mibextid=wwXIfr