La liturgie nous propose deux lectures qui ont au moins une chose en commun : le complot. Elles ne sont pas tout à fait dans le même registre :
la première, de l’Ancien Testament, est extraite du Livre de Michée : « Malheur à ceux qui préparent leurs mauvais coup et du fond de leur lit, élaborent le mal… Plus personne ne t’assurera une part dans l’assemblée du Seigneur ».
L’autre lecture, de Matthieu, nous parle des pharisiens qui complotent pour voir comment faire périr Jésus. « Chut », dit Jésus à la foule qui le suit, « ne parlez pas de moi. » Cet extrait de l’évangile nécessite quelques petites explications pour en comprendre la portée. Je vais essayer de vous en donner quelques-unes.
En ce temps-là, les pharisiens sortant de la synagogue se réunissent pour voir comment faire péril Jésus… Ils sont gênés aux entournures à cause de ce Jésus, de ses critiques envers eux, de son attention aux impurs, et surtout de son non-respect des traditions. Il guérit des malades le jour du sabbat : c’est gênant, très gênant ! Alors ils conspirent. Ils préparent leur mauvais coup. Pas dans leur lit, comme le disait Michée, mais à la sortie de la synagogue. Vous vous rendez compte ? Ils sortent de la prière et pensent à éliminer le Rabbi Jésus.
Matthieu a posé le décor en maître : les personnages, le lieu, le complot collectif, fruit d’une réflexion en conseil. On comprend que cela va mal finir pour Jésus (« le faire périr »). On ne dit pas comment. Mais, nous on sait …
Verset suivant : Jésus a filé en douce et des tas de gens le suivent. Il les guérit. Tous, dit-on … « Il leur défend vivement de parler de lui ». Pourquoi ? Pourquoi Jésus ne veut-il pas qu’on le dise ? On peut supposer que c’est pour éviter les confrontations, ou alors est-ce par humilité et modestie ? En tout cas, le contraste entre la réaction violente des pharisiens et l’attitude paisible de Jésus est frappant !
Et là, Matthieu, qui vise un public juif, inclut la citation directe d’Isaïe 42:1-4 - c’est important pour les juifs les prophéties de l’Ancien Testament et l’accomplissement des écritures. Il cite le premier des chants du serviteur de Dieu (dits « du serviteur souffrant »). Voici le serviteur choisi par Dieu, porteur de l’Esprit, qui accomplit(ra) sa mission sans crier, sans contester, avec douceur et humilité. Il ne cherche pas de pub pour ses actes, mais il agit discrètement pour transformer les cœurs et les vies de tous…
« Ainsi s'accomplit la parole prononcée par le prophète Isaïe ». Jésus est le Serviteur choisi, le Messie légitime, le Messie attendu. Un serviteur doux et humble. Par sa souffrance et sa mission de justice pour tous les hommes, il accomplit le rôle décrit par le prophète.
William Wrede, un théologien allemand de la fin du XIXe siècle, pionnier de l'exégèse historico-critique, postulait que l'identité messianique de Jésus n'avait été pleinement comprise qu'après sa résurrection, et que l'Évangile de Marc, et celui de Matthieu qui s’en est inspiré, était écrit à partir de cette perspective post-résurrectionnelle. L'idée était que les premiers chrétiens, en relisant la vie de Jésus à la lumière de sa résurrection, avaient intégré le « chuuut - secret messianique » dans la narration pour expliquer la progression de la révélation. « Ne le dites à personne ! »
En demandant le silence, Jésus évite bien sûr que sa mission soit prise comme un risque de soulèvement politique, mais il prépare tout doucement ses disciples et les foules à comprendre sa vraie nature divine, qui ne se révèlera pleinement que plus tard, quand son heure sera venue, par sa mort et sa résurrection.
A nous, chrétiens, qui connaissons la fin de l’histoire, il n’est pas demandé de nous taire. Au contraire. Il nous est demandé de témoigner. Il nous appartient de parler de Jésus, notre Seigneur et notre Dieu, révélé non pas par ses guérisons et ses miracles, mais sa mort et par sa résurrection. Une citation d’Isaïe ne suffit sans doute pas pour propager aujourd'hui la Bonne Nouvelle. Une vie, peut-être…
Prière
Seigneur Jésus, aide-nous à vivre à la lumière de ta résurrection, transformés par la joie et l’espérance qu’elle apporte. Que nous puissions partager avec le monde ta paix et ton amour, en serviteurs doux et fidèles du Père. Que ton esprit repose sur nous, nous guidant et nous inspirant pour porter la bonne nouvelle que tu nous as révélée. Nous te le demandons, à toi qui règnes avec le Père et le Saint Esprit, un seul Dieu pour les siècles des siècles. Amen.
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